Le jumeau numérique, une technologie puissante… mais vulnérable

Un jumeau numérique, aussi appelé « digital twin » en anglais, est la réplique d’un objet, d’un système ou d’un processus sous une forme numérique, en y incluant les données collectées tout au long de son existence. Combinées, celles-ci permettent alors de modéliser l’objet à travers une étude dynamique, qui continuera d’évoluer en fonction des informations ajoutées et des facteurs renseignés. C’est peu dire que la duplication virtuelle du monde réel ouvre des perspectives considérables…

C’est à Michael Grieves (alors professeur à l’université du Michigan) que l’on doit la première application du concept de jumeaux numériques à la fabrication en 2002 et l’annonce officielle du concept de logiciel de jumeaux numériques.

Cependant, l’idée maîtresse d’utiliser un jumeau numérique comme moyen d’étudier un objet physique remonte en réalité à bien avant : la NASA a été la première à utiliser la technologie des jumeaux numériques au cours de ses missions d’exploration spatiale des années 1960, lorsque chaque vaisseau spatial en partance était reproduit à l’identique dans une version terrestre qui était utilisée à des fins d’étude et de simulation par le personnel de la NASA faisant partie des équipages de vol.

Sur le plan industriel, de nombreux types de projets bénéficient spécifiquement de l’utilisation de modèles numériques :

  • les projets de grande envergure : les bâtiments, ponts et autres structures complexes soumis à des règles techniques rigoureuses
  • les projets mécaniques complexes : les turboréacteurs, automobiles et avions. Les jumeaux peuvent ainsi contribuer à améliorer l’efficacité des machines complexes et des moteurs gigantesques.
  • les équipements électriques : les mécanismes de production et de transmission de l’énergie
  • les projets de fabrication : les jumeaux numériques excellent dans la rationalisation de l’efficacité des processus, comme c’est le cas dans les environnements industriels où les systèmes de machines fonctionnent conjointement.

Jumeaux numériques et santé

Les principes du jumeau numérique sont également appliqués dans le secteur de la santé via la représentation fidèle d’un organisme sous forme de données, simulées à partir d’un modèle ou d’un algorithme eux-mêmes souvent alimentés par des données antérieures. L’idée est d’utiliser ces données simulées pour le développement de médicaments ou de vaccins, les jumeaux numériques permettant de tester des protocoles de recherche ou des médicaments avant de passer aux essais chez l’homme.
Mais ils peuvent également avoir d’autres applications, comme le précise Rodolphe Thiébaut, professeur à l’université de Bordeaux, dans un article de Santé magazine (nouvelle fenêtre) : simuler des opérations complexes, améliorer la qualité des prothèses, tester l’efficacité d’une molécule sur l’organisme et développer plus rapidement de nouveaux médicaments.

Au-delà de permettre une accélération du développement de traitements, certains font le pari que des essais totalement in silico (essais réalisés grâce à l’informatique) pourraient permettre la mise sur le marché de certains médicaments notamment pour traiter les maladies rares.

L’énorme avantage que représente cette technologie est celui de pouvoir accéder à une médecine personnalisée et de trouver pour un patient donné le traitement adéquat à l’instant T. Du côté du patient, il y aurait également des bénéfices secondaires : une meilleure compréhension des soins et une meilleure prévention le rendront acteur de sa propre santé. Par ailleurs, si le jumeau numérique teste virtuellement à la place du médecin des hypothèses et des traitements, cela permet de dégager du temps médical et de renforcer la qualité du lien avec le patient.

Jumeaux numériques et territoires

De l’agencement des bâtiments à l’organisation des routes où circulent automobiles et transports en commun, en passant par la gestion des réseaux d’énergie, d’eau et d’accès à Internet : pour mieux se représenter les interconnexions, les grandes villes se dotent d’une réplique virtuelle de leur territoire.

Équipées de capteurs, les infrastructures de la « vraie ville » fournissent de nombreuses données à son double numérique. Le but : mesurer des phénomènes (consommation des bâtiments, trafic routier, niveau de pollution, etc.) et faciliter l’aménagement urbain.

En simulant des événements (urgences médicales, manifestations, pics de pollution, incendies, inondations, etc.), les modélisations 3D des villes permettent de mieux les anticiper dans le réel et de s’adapter en conséquence. Les urbanistes utilisent également les jumeaux numériques avant d’opérer des transformations dans la ville : rénovation d’un quartier, conséquences de la fermeture d’une route, création d’un rond-point…

Virtual Singapore est l’un des plus grands projets de jumeau numérique au monde. Ce double a été utilisé par Singapour pour améliorer sa couverture Wi-Fi, placer des panneaux solaires sur les bâtiments ou encore améliorer les voies de circulation et le tracé des parcs.

En France, Rennes fait figure de pionnière en la matière depuis 2017 et l’Île-de-France travaille également à la modélisation du territoire francilien. En tout, 500 projets de jumeaux numériques devraient voir le jour d’ici 2025 en France.

Et pour la suite ? Les jumeaux numériques serviront notamment pour le développement des voitures autonomes dans les grandes villes. En Asie du Sud-Est, on projette même de connecter les jumeaux numériques de plusieurs villes entre eux.

Jumeaux numériques et cybersécurité

Outils extrêmement utiles pour de nombreux secteurs, les jumeaux numériques présentent également des risques intrinsèques et leur usage pourrait ouvrir la voie à des cyberattaques si la sécurité est insuffisamment prise en compte lors de leur création.

Daprès le récent article paru sur CIO-Online, “Les risques associés aux jumeaux numériques préoccupent les experts de la sécurité” (nouvelle fenêtre). Selon le cabinet d’études de marché Grand View Research, le marché mondial des jumeaux numériques, évalué à 11,1 milliards de dollars en 2022, devrait connaître un taux de croissance annuel de 37,5 % entre 2023 et 2030. Ce marché est donc appelé à peser plus de 155 milliards de dollars.

Or certains experts affirment que les jumeaux numériques pourraient non seulement créer de nouveaux points d’entrée pour les attaques visant ces environnements, mais aussi offrir des opportunités pour de nouveaux types d’attaques – y compris ce qu’un expert en sécurité a décrit comme le « jumeau numérique malveillant ». Jason M. Pittman, professeur à la School of Cybersecurity & Information Technology du Campus global de l’Université du Maryland (UMGC) affirme que ce modèle de logiciel virtuel malveillant sera utilisé pour renforcer les activités cybercriminelles, telles que les ransomwares ( logiciels d’extorsion qui peuvent verrouiller votre ordinateur et demander une rançon en échange du déverrouillage de celui-ci), le phishing (nouvelle fenêtre) et la cyberguerre hautement ciblée. Ces attaques seront nettement plus efficaces que les méthodes traditionnelles en raison de la spécificité offerte par les modèles de jumeaux numériques malveillants. En effet, si des pirates parviennent à s’introduire dans une organisation, ils peuvent soit voler les données, soit, selon leurs motivations, manipuler les données utilisées par le jumeau numérique pour fausser délibérément les résultats de la simulation.

Il est donc essentiel de disposer d’un plan de réponse solide aux incidents, comprenant des procédures de détection, de réponse et de récupération à la suite d’une cyberattaque. Ce plan doit être régulièrement évalué et mis à jour pour s’assurer qu’il évolue en parallèle du paysage des cybermenaces. Un défi de taille…

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